Ouvrir les yeux grace a un groupe d'aveugles
Pour mon projet de fin d'année d'études photographiques, après être passée par tous les états émotionnels possibles, j'ai eu un désir violent d'exprimer mon rejet vis à vis de notre monde ultra visuel qui étouffe tous nos sens, et de la boulimie d'images de toutes qualités, que nous sommes forcés d'ingurgiter tous les jours. Aussi, sur le thème de la consommation, j'ai travaillé avec un groupe d'aveugles participants aux cours de réhabilitations au centre pour les aveugles NCBI a Dublin. Un peu décalé comme angle pour une photographe, je vous l'accorde.
Nous avons passé des mois ensemble, se voyant une a deux fois par semaines. Et pourtant une fois le projet fini, je n'ai pas eu ni le temps ni l'occasion de les revoir ou de poursuivre cette aventure avec le centre NCBI. Mais assez régulièrement ce projet me fait des clins d'oeil au fil des conversations, des rencontres. Il y a eu par exemple le génialissime épisode de This American Life sur Batman : Daniel Kish, un aveugle qui voit pourtant tout aussi bien que nous grace à sa technique de claquement de langue (un système de "navigation" similaire aux chauves souris) qui se bat pour que les aveugles n'acceptent pas leur état de dépendance physique mais apprennent à voir l'espace comme il le fait. http://www.thisamericanlife.org/radio-archives/episode/544/batman
Le projet que j'ai dirigé avec le NCBI s'intitulait VISION, et a donné lieu à une exposition multi média et un livre tactile et sonore.
Pendant les mois de travail, nous avons d'abord appris à nous connaitre, j'ai expliqué le but de ma démarche, ils m'ont ouvert au monde complexe de la vie sans vision dans un monde obnibulé par la vue, leurs histoires, leurs peurs et leurs joies. Puis chacun a choisi un lieu qui répondait pour eux au thème de la consommation que j'avais choisi. Pour certains c'était le lieu ou ils se sentaient à l'aise, hors de danger, pour d'autres des lieu qui n'avaient pas de sens, ou des lieux ou les odeurs, les sons les attiraient. Au moment qu'ils choisissaient eux même, ils ont appuyé sur le déclencheur de l'appareil photo que je leur avais prêté, pendant que j'enregistrais le son ambiant de cet endroit, à défaut de pouvoir enregistrer les odeurs ou le toucher...
Pour une majorité des participants cette expérience a été l'occasion d'une réflexion sur leur relation avec leur environnement qui était assez nouvelle.
Une des membres du groupe apprenait la dactylographie en braille aussi nous en avons profité pour passer des heures à retranscrire les textes du livre, les petites bios de chacun, et leurs explications sur ce qu'ils ont choisi de photographier. Cela nous a permis d'avoir 2 copies du livre Vision en braille et une exposition avec non seulement les photographies imprimées sur toile texturée, mais avec l'explication en braille en dessous. Le son ambiant de chaque lieu jouait en fond également.
Voici la version digitale du livre.
Et grace a ce projet, j'ai l'occasion de trouver le meilleur sujet possible pour mon tout premier film, John Monahan, un aveugle du comté de Mayo (ne vous inquiétez donc pas si vous ne comprenez rien a ce qu'il raconte son accent est fort) qui dont le charisme l'a rendu très populaire au centre pour aveugles.
Ce qu'il raconte dans cette vidéo, c'est la solitude d'un enfant qui est amené à vivre dans un centre spécial loin de sa famille, le lien très fort qu'il a avec le Phoenix Park dans lequel nous avons filmé son reportage, un parc ou il pouvait apprécier la nature, les sons, les odeurs; la perte de sa vue n'a vraiment été complete qu'à l'adolescence aussi il raconte la visite du Pape Jean Paul II (qui s'était déroulée justement dans ce parc), un des derniers souvenirs visuels qu'il conserve. Et il poursuit en expliquant que ses balades à l'aide de sa canne lui apportent des idées de romans, d'histoires, et qu'il souhaite briser les idées recues sur ce qu'un aveugle peut faire ou non.